Le talent

Décembre 2021

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« Le talent ça n’existe pas. Le talent c’est d’avoir envie. Tout le reste n’est que sueur, travail, discipline. Je suis sûr de ça » (Jacques Brel)

Avoir laissé croire aux individus que le talent existe est une erreur de l’humanité.

Quelle chute monumentale pour celles et ceux qui ont cru l’avoir.

Quelle marche insurmontable pour celles et ceux à qui on en a fermé les portes.

Encore un travers du déterminisme. Ranger les gens. Les bons. Les mauvaises. Les talentueuses. Les bons à rien. Les miraculés et les erreurs de la nature.

N’essaie pas. Ne change pas de voie. N’essaie pas.

C’est un cas un peu extrême. Mais même dans une société où l’essai est moralement accepté, voire encouragé, on reste convaincu que certaines personnes sont au-dessus. Qu’elles ont des « facilités », du « talent », un don en somme. Pression pour les unes, frustration pour les autres. Peu importe ton travail, tu ne pourras pas accéder à cette grâce, à ce je n’sais quoi que dieu a donné à ton voisin. Peu importe ta détermination, puisque tout est déterminé.

Et lorsque l’on rencontre quelqu’une, qui, par construction sociale, nous apparaît comme prodigieuse, génie, touchée par un pouvoir plus grand que l’humanité, alors on s’écrase, on dévalorise nos envies, nos besoins, on regarde sa petite case et on se convainc qu’elle nous convient. A quoi bon essayer ? Mes efforts devront être décuplés, pour un résultat moins valorisé. Les encouragements du travailleur, à côté des félicitations du fainéant.

Et qu’en est-il pour les autres ? Qu’en est-il pour ces petits prodiges, ces humains qui planent au-dessus des préoccupations de ces pauvres mortels ?

D’abord, on l’a déjà évoqué, rares sont celles qui ne tombent pas de haut à un moment ou à un autre. Tout part en fumée. Comment justifier l’échec commis par la perfection ? Comment s’autoriser des doutes quand tout le monde envie sa vie ? Et lorsque l’on goûte à l’échec, on n’y croit pas. Rien ne nous y avait préparé. Tout laissait supposer que cela n’était pas pour nous. Alors au lieu d’accueillir l’erreur et d’y voir un moyen de devenir meilleur, on se renferme, on s’en veut, on se flagelle d’avoir failli à notre mission divine. On tombe, ou on le cache.

D’autre part, même la réussite a un goût amer quand tout le monde nous l’avait promise. Elle est normale, le chemin logique de notre supériorité. Elle n’est ni le fruit de mon effort, ni la chance, ni la somme de travaux collectifs. Elle est moi. Je suis la réussite, par naissance. Je ne peux pas tomber. Alors l’équilibre n’est pas une prouesse. C’est une évidence.

Si l’on résume, nous avons alors d’un côté les bons à rien, n’essayant pas de réussir car prédestinés à l’échec, où dont les efforts se voient anéantis par une dévalorisation constante de leurs capacités. De l’autre, les élus qui ne ressentent ni la joie de la réussite ni l’expérience de l’échec, qui tombent dans l’arrogance ou dans l’autoflagellation.

Rien ne ressort de bon de ce culte du talent. Personne n’en bénéficie. Les « tu peux » opposés au « tu vas ». tu peux y arriver, encourageant une personne en laquelle on ne croit pas. Tu vas y arriver, persuadant une autre que le travail n’est pas nécessaire.

La pression des deux à réussir. La pression des deux à ne pas échouer.

Le monde manque de peut-être, d’incertitudes. Tu vas peut-être y arriver. Il est possible que tu échoues. Et dans ces peut-être se révèleraient ce que les humains ont de meilleur en eux. Une capacité à réessayer, un pouvoir de résilience. Une connaissance ni sur ni sous-estimée de ses capacités. Contribuer à hauteur de ce que l’on peut et veut donner. Tout le monde peut faire n’importe quoi. Tout le monde peut tomber dans l’oubli d’un n’importe qui. Chacun peut s’investir dans quelque chose de grand. Chacune peut décider que tel n’est pas son objectif.

Arrêtons de stigmatiser ces soi-disant talentueux qui choisissent la paresse. Arrêtons de rabaisser ces soi-disant bons à rien qui choisissent d’essayer 1, 10 ou 1000 fois. Arrêtons de projeter nos peurs et aspirations sur autrui. « Le talent ça n’existe pas. Le talent c’est d’avoir envie. Tout le reste n’est que sueur, travail, discipline. »