Les sons des sages ?
- edithrchd
- 11 déc. 2021
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 mars 2022
Mai 2020
Pour qu’une suite de mots, à l’oreille de celui qui l’écoute, soit belle, l’auteur bien souvent choisi de soigner la forme. Plutôt que partir en quête d’un argument juste, frappant, percutant au tympan de celui qui ne l’a point encore fermé, il assouplit son mot pour ne point assoupir. Il fait preuve au demeurant d’une grande vivacité d’esprit pour déguiser ses propos, parfois immondes, en charmantes allitérations qui pour l’oreille naïve, sonneront, siffleront symphoniquement et s’immisceront dans sa pensée comme un doucereux sonate. Comment, en effet, le propos peut-il être faux quand l’esprit qui l’écrit s’est évertué à coudre minutieusement un mot à l’autre de sorte que l’on décèle dans le résultat non seulement la beauté de chaque entité mais l’harmonie du tout ainsi composé ? Personne ne se donnerait tant de mal.
Alors, celui qui a la belle plume se targue d’avoir raison. Plus encore on le conforte dans son idée.
Celui qui se sert de cet instrument universel avec tant de raffinement et de réflexion, qui fait passer la conversation réelle, celle qui se fait par nécessité de transmettre, celle faite de fautes et de liaisons douteuses, pour un vulgaire tas de lettres qui s’entrechoquent prosaïquement, est qualifié de poète, élégant et subtil. C’est là son pouvoir.
N’est-ce pas inquiétant ?
Ainsi celui qui exclut par la forme celui à qui il ne veut pas s’adresser, dont il fait fi de l’avis au motif que chaque fond doit être formé, se complaît au sein d’une assemblée qui l’encourage et s’émerveille silencieusement à chaque synecdoque, à chaque anaphore, à chaque aposiopèse. Celui dont l’opinion diverge devrait, pour s’exprimer, avoir la maîtrise du mot.
Ne trouvez-vous pas cela … ?
Ainsi c’est le beau vers, celui compté en pieds, qui dans cette assemblée fait office de roi. On crée l’alexandrin pour prouver qu’on le peut. On compte les syllabes, on applique les lois. Les membres se jalousent et jugent chaque ponctuation pour ce qu’elle est mais surtout pour ce qu’elle n’est pas. Chaque mot à sa place. Tout doit être justifié. A chaque cas sa figure, point question de laisser quelque chose au hasard, froid et sans âme. Pourquoi faire parvenir un discours qui tintera irrégulièrement, qui résonnera comme une alarme, qui fera naître un torrent de panique, qui constitue en somme un outrage à la beauté de la langue, dont les combinaisons sont si nombreuses ? Mieux vaut se taire que de bafouer la langue de Molière.
A l’extérieur tout est plus chaotique. Les mots sont criés, chantés, disharmonieux parfois. Les mots chantent une chanson que l’on ne nomme pas. Nous ne saurions d’ailleurs pas la nommer. Ils sont ce que chacun en fait, sans trop y réfléchir. Ils sont l’expression parfois trop rapide de la pensée qui, à peine formulée dans l’esprit de son locuteur, s’est évadée par le trou béant que l’on nomme bouche. Les dents ont claqué, le palais a vibré, la langue a exécuté un ballet incompréhensible, et la phrase est sortie sans que la tête ait eu à s’en soucier. Les mots sont composés de fausses notes. Ces notes là que le poète exècre. Ces notes là qu’il ne fait pas. Le poète ne joue pas. La rime l’obsède.
Mais alors le poète est-il par essence vil ? Ne peut-il point, au contraire, sublimer un fond parfaitement cohérent par une forme magnifique, qui tromperait même les puissants ? N’ai-je point conscience que l’art de la poésie, par sa grâce, a enchanté les rois par leur forme élégante alors même qu’on leur crachât dessus ? N’ai-je pas moi-même, par une prose imparfaite, tracé un cercle intermédiaire entre soutenu et familier ? Ce que je dis, sous prétexte qu’il est bien dit, est-il vrai ? Ne m’essaye-je pas là au même exercice que celui que je critique ? N’exclus-je pas, moi-même, par mes questions sans réponses, celui qui justement ne les a pas ?
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